Le Bon samaritain – Diaconia

Neuf notes « théologiques » (cf. site Diaconia) accompagnent cette démarche de l’Eglise de France. La première note fait le tour des mots qui disent « le service du pauvre » :  charité (qui dit celle de Dieu pour un service sans condition), fraternité (et sa charge « proximité »), solidarité (entre égaux), justice (et le droit), option préférentielle pour les pauvres (pour qu’ils aient une vie digne, ce qui n’est pas négociable, mais les pauvres sont-ils matière à option ?)

Dans l’histoire de l’Eglise, ce service de la charité rejoignait particulièrement quatre catégories de personnes, l’ennemi, l’étranger, le pauvre et l’enfant. Cela demeure. Aujourd’hui, au-delà des chiffres qui disent la détresse et le malheur, on peut retenir ce que le théologien Laurent Villemin a retenu lui-même : « Nous vivons dans une société à forte valeur disjonctive, car notre premier réflexe est de séparer, de spécialiser, ce qui donne de bons résultats mais qui apporte des drames humains et sociétaux » . Madame Jacqueline Rouillon, maire de Saint Ouen évoquait récemment la nécessité de lieux de paroles, pour que la parole s’échange – mais nos lieux d’accueil ne sont pas envahis ! Par où on retrouve la question du « lien » chère à Jean-Baptiste de Foucauld notamment, et nous ne savons pas bien faire. A noter aussi l’attente de nos concitoyens ; à la question, « qu’est-ce qui vous conduit à croire en l’existence de Dieu », les Français répondent : après l’enfant (31%), la nature (20%), la charité vient en troisième position. Après tout, renouer une relation d’alliance entre les hommes et entre l’humanité et Dieu, n’est-ce pas ce qu’a fait le Christ.

Diaconie (diakonia, en grec) désigne le fait de se mettre au service des autres à l’exemple du Christ Serviteur. Ce mot n’est pas rare dans le Nouveau Testament ; il fut perdu dès les premiers siècles ; la Réforme l’a retrouvé (qui a inventé les « diaconesses ») et donc l’Eglise catholique l’a délaissé. Il revient dans le rapport Coffy (évêque de Marseille) en 1981 et surtout le pape Benoit XVI le retrouve (Dieu est amour, 2006) et le désigne comme « le service de l’amour du prochain exercé d’une manière communautaire et ordonnée » ; « Enraciné dans l’amour de Dieu, il est avant tout une tâche pour chaque fidèle, mais il est aussi une tâche pour la communauté ecclésiale entière, et cela à tous  les niveaux » (n°20 et 21), là est l’originalité et la raison du mot « diaconie ».

Il est une raison « théologique ». Dans l’histoire, nous sommes passés de la proximité concrète (cf.les diacres) à la délégation, au seul don d’argent : on a comme sous-traité le service du pauvre à des services spécialisés et aux congrégations religieuses (qui furent nombreuses) ; on a « externalisé » ce service qui, du coup, n’était plus au centre de la vie ecclésiale. Ce service est devenu comme secondaire, comme conséquence (un appendice plus ou moins contraignant) de la foi et de la pratique sacramentelle : « je suis croyant donc je donne ou je milite ». Or ce don et cet engagement est un lieu-source de la foi, ce n’est ni un dérivé ni une matière optionnelle. « La nature profonde de l’Eglise s’exprime dans une triple tâche : annonce de la Parole de Dieu (Kerygma-martyria), célébration des sacrements (leitourgia), servie de la charité (diakonia). Ce sont trois tâches qui s’appellent l’une l’autre et qui ne peuvent être séparées l’une de l’autre. La charité n’est pas pour l’Eglise une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature, elle est une expression de son essence même, à laquelle elle ne peut renoncer (Dieu est amour, n°25 cf. le n°32 sur la charge de l’évêque  la charité fait partie de l’essence même de sa mission originaire).

Dans la parabole du bon samaritain, nous voyons Jésus répondre à une question précise : quoi faire (observer la Loi) pour vivre avec Dieu, pour être avec Lui (avoir la vie éternelle) ?  Et la réponse est celle-ci : fais comme le bon samaritain (dans la parabole, il est le prochain) – par où  le service de la charité, comme tel, conduit à Dieu et fait demeurer avec Lui.  Parmi les lectures possibles de cette parabole, il y a celle des supérieurs-res de congrégations religieuses ;  dans leur congrès de 2004, elles ont fait du samaritain et de la samaritaine des icônes de leurs engagements.  On peut se laisser prendre par les gestes, se voir dévier de son chemin (prendre acte de l’imprévu), s’arrêter, descendre de sa monture, s’agenouiller, faire des gestes simples et quotidiens (laver les plaies avec de l’huile et du vin) puis mobiliser l’aubergiste, donner de l’argent et annoncer son retour – puisqu’il ne se décharge pas. « Que pouvait-il faire de plus ? » dit quelqu’un qui accompagne un chômeur ? Quant au chômeur lui-même, il s’identifie non au samaritain mais à l’homme blessé sur le talus. Ce texte, on peut le croiser avec trois autres textes au moins, le lavement des pieds (geste d’amour, fort comme peut l’être celui de cet homme qui lave le corps de sa femme malade), et les disciples sur le chemin d’Emmaüs (la route, l’inattendu de l’inconnu, le récit qui sort de l’enfermement de la détresse, l’invitation à rester et le repas, sa présence forte et furtive, l’aller vers les autres, et le Christ qui apparaît alors que les uns et les autres parlent de leurs propres expériences-rencontres) ; le geste de Jésus devant la femme adultère est superbe : il ne dit rien, s’incline devant tous pour écrire d’un doigt sur le sol, il se met à hauteur d’elle et de tous, et il se relève, relevant la femme du même coup avant de lui dire « va ».

Il faut insister encore aujourd’hui : certes la prière (par l’écoute de la Parole) et la célébration communautaire des sacrements sont indispensables et sans lesquels on peut vite s’épuiser et manquer de lucidité, mais le service de la charité est, lui aussi et au même titre, central dans notre quête de Dieu, dans l’annonce de Dieu. L’action a de suite une dimension spirituelle : celui qui s’engage pourrait ne pas le faire, et au long de son chemin, il doit abandonner une certaine assurance (je vais réussir) et se convertir à la modestie, à l’autre, à la gratuité ; ce faisant, il découvre que l’autre a de la densité, que sa vie aujourd’hui blessée est lourde d’événements et de résistance au malheur, forte de courage et d’inventivité, et de Dieu… par où on trouve un autre type de relation (ni surplombante, ni complexée) ; encore faut-il qu’il s’arrête pour relire ce qu’il vit et qu’il puisse le célébrer.

Quant à celui qui est en détresse, qui doit accepter de tendre la main, de faire confiance, il fait là ce qui est habituellement très difficile.  S’il est chômeur par exemple, il s’affronte très vite à des difficultés inattendues, à la solitude, à une « mort sociale » (dans un pays où nous investissons dans le travail comme nulle part ailleurs), à un problème d’identité (qui suis-je devenu ?) « Il arrive souvent que celles et ceux qui vivent dans la grande précarité aient une véritable expérience de Dieu : si l’on croit vraiment qu’il se fait proche des plus modestes, cela ne nous surprendra pas outre mesure » (cf. note théologique 3).   Densité de nos vies, de toutes les vies : « on est dans le lourd », qui n’a rien à voir avec de l’activisme pour meubler une retraite ou une solitude. On peut comprendre ce mot du fondateur du « syndicat » des chômeurs à savoir que le chômage est aussi un problème spirituel.

Quant à l’Eglise elle-même, elle  retrouve une attitude,  elle « se fait conversation » avec le monde (Paul VI). «Comme Jésus au puits de Sychar, l’Eglise ressent le devoir de s’asseoir aux côtés des hommes et des femmes de notre temps pour rendre présent le Seigneur dans leur vie, afin qu’ils puissent le rencontrer » (13ème assemblée générale – synode des évêques 2012, sur la Nouvelle évangélisation ), et cela passe par des gestes et des paroles, sans juger, sans attente de retour « parce que c’est toi », de manière totalement désintéressée, sans arrière pensée de prosélytisme : « L’amour est gratuit. Il n’est pas utilisé pour parvenir à d’autres fins. » (Dieu est amour N°31)

Gérard Marle – pour l’ACI 91, avril 2013

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